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Héroïnes polonaises - Sikora, Bacewicz, Kulenty et Zubel par l'Orchestre Pasdeloup et Marzena Diakun

Dernière mise à jour : 19 août 2021

Janvier 2021

Elżbieta Sikora (* 1943) - Sonosphère V. Wanda Landowska pour orchestre et guitare électrique (2019)

Grażyna Bacewicz (1909-1969) - Contradizione pour orchestre de chambre (1966)

Hanna Kulenty (* 1961) - Aisthetikos pour saxophone soprano et orchestre

Agata Zubel (* 1978) - In the Shade of an Unshed Tear (2016)



Orchestre Pasdeloup

Marzena Diakun, direction

Magdalana Duś, piano

Bartłomej Duś, saxophone

Misja Fitzgerald Michel, guitare électrique




Les éditions PWM et leur label discographique Anaklasis sont engagées dans la promotion de la musique polonaise du XXè siècle. En 2019 est paru "100 for 100", un coffret de 36 CD donnant à entendre 100 oeuvres de compositrices et compositeurs polonais pour les 100 ans de l’indépendance de la Pologne. La 4e symphonie de Bacewicz et le Concerto pour piano « hommage à Frédéric Chopin » d'Elżbieta Sikora apparaissent dans cette anthologie remarquable.


Dans le disque Polish Heroines of Music, on retrouve ces deux compositrices accompagnées de deux créatrices plus jeunes. L’opus de l’Orchestre Pasdeloup et de la cheffe Marzena Diakun est ainsi un parcours musical dans la création polonaise par quatre compositrices de quatre générations différentes, chacune dans une œuvre qui dévoile le goût de l’orchestre moderne dans toutes ses capacités expressives et ses sonorités.


C’est Grażina Bacewicz, compositrice à la notoriété internationale et à la discographie importante qui est l’héroïne de référence dans ce parcours. C’est son combat et sa difficulté à être considérée comme créatrice à part entière qui sont évoqués dans l’ouverture du livret : « Mademoiselle, vous êtes perdue ? Ici, c’est la classe de composition, mademoiselle. »


Contradizione est une pièce composée en 1966 à la fin de la carrière de la compositrice. Deux mouvements « gravo » puis « acuto » (aigu, angle aigu) sont juxtaposés. L’ensemble des deux pièces fonctionnent sur des jeux d’opposition de timbres, de modes de jeux, des « contradictions » selon les termes de la compositrice. La position des musiciens est aussi très précise, jouant encore une fois sur les oppositions entre les cordes, les vents et les percussions dans l’effectif instrumental de 15 musiciens. Jeux de formes, de mouvements, de timbres et de dynamiques, les deux mouvements nous entraînent dans une musique colorée, énergique, qui donne l’impression de s’inventer sous nos oreilles, et dont les formes se dévoilent au fur et à mesure, comme dans un kaléidoscope aux mille couleurs.


La pièce d’Elżbieta Sikora a été créée pendant l’année Wanda Landowska (1879-1959) en 2019, autre héroïne polonaise de la musique au XXè siècle. Sonosphère V appartient à un cycle de compositions pour orchestre, liées à des évènements, des personnes, des situations. L’inspiration est venue d’une interprétation de la mélodie populaire polonaise ‘Le Houblon’ par Wanda Landowska. C’est l’énergie de cette artiste dans cette interprétation qui a touché la compositrice. La modernité et l’impétuosité de Wanda Landowska sont quant à elles incarnées par le choix de la guitare électrique comme instrument soliste : « (elle) aurait touché à la guitare électrique si elle avait vécu à notre époque ». C’est un grand solo de guitare, un « diamant noir », qui est au centre de l’oeuvre. La musique semble ici se déconstruire, pour créer un concentré d’énergie, un moment dans lequel Elżbieta Sikora a « voulu extraire la nervosité et la couleur de son du jeu de Jimi Hendrix ». La musique électronique et la musique dite mixte (qui mêle l’acoustique et le traitement du son par l’ordinateur) sont au centre de la création de la compositrice. Avec une grande virtuosité, des couleurs constamment changeantes, l’orchestre semble sonner comme un écho transformé de la guitare, comme si les musiciens transformaient le son en direct, spontanément. Les masses sonores colorées irisent constamment le discours musical, qui nous mène d’un simple son ténu au début de l'œuvre à un climax en tutti à la fin de l'œuvre, donnant l’impression d’une accumulation inéluctable dans cette œuvre dense et dynamique.

Aesthetikos, crée en 2020, est une "composition en une seule partie où le saxophone et le piano mènent en duo une narration indissociable à l’ombre, littéralement à l’ombre de l’orchestre". Après un arpège introductif au piano, le saxophone chante une mélodie à l’allure de complainte, au motif mélodique descendant. Ce moment de grâce qui ouvre la pièce reviendra régulièrement, comme un refrain, apaisant et nostalgique, toujours changeant. Les épisodes s’enchaînent alors dans une allure qui laisse croire à l’improvisation, nous emmenant dans des états affectifs différents. Avec une grande subtilité, la compositrice nous fait passer du dialogue intime entre les solistes, aux moments de tutti orchestraux, plus extérieurs, jouant du miroitement de l’orchestre. Hanna Kulenty nous offre ici une pièce attachante, jouant du souvenir et de la nostalgie.


Le disque se clôt par la composition de la chanteuse et compositrice Agata Zubel, In the Stade of an Unshed Tear (Dans l’ombre d’une larme non versée). Le titre est énigmatique, et la compositrice le reste dans la description de son œuvre, nous laissant finalement le choix de son interprétation et l’opportunité d’aiguiser notre écoute. Les silences ont une grande force dans le début de la pièce, comme si la musique se cachait dans leurs ombres. Petit à petit, le discours se densifie, autour de la sonorité tendue des hautbois, pour éclater en un grand tutti orchestral. Les cordes semblent alors pleurer, ouvrant sur un grand decrescendo qui nous mènera jusqu’à la fin de la pièce. Les silences sont remplacés par des sons tuilés, comme solitaires, la matière sonore se raréfiant jusqu’au silence.


La virtuosité est au centre de ce disque, celles des solistes, Magdalana Duś au piano, Bartłomej Duś au saxophone et Misja Fitzgerald Michel à la guitare électrique qui servent admirablement les pièces concertantes, celle aussi de l’Orchestre Pasdeloup qui brille de mille feux et éclats sous la baguette sensible, précise et énergique de Marzena Diakun.



Jérôme Thiébaux



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